Moyen Âge
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Les multiples expéditions allemandes, britanniques, françaises, japonaises et russes qui eurent lieu à l’extrême fin du xixe et au début du xxe siècle dans ce que l’on appelait alors le Turkestan chinois mirent au jour une grande quantité de manuscrits du ier au xe siècle de notre ère en langues diverses, chinois surtout, mais également tibétain, sanskrit, turc ou sogdien, notamment dans les fameuses oasis de Dunhuang et Turfan. Depuis, ces dizaines de milliers de documents ont été exploités par les chercheurs de nombreux pays, donnant lieu à plusieurs milliers d’ouvrages et des dizaines de milliers d’articles, pour la très grande majorité en chinois, qui ont renouvelé complètement non seulement l’histoire locale, mais encore celle de la Chine et d’une partie de l’Asie centrale. Ces manuscrits n’ont pourtant pas livré tous leurs secrets. Même si la chasse aux trésors, inédits, curiosités et textes disparus, se clôt peu à peu, le croisement des documents, leur étude en série permettent d’éclairer de vastes pans de l’histoire économique, sociale, religieuse ou artistique d’une région chinoise qui fut un carrefour de civilisations pendant des siècles.
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La présente publication est la première édition véritablement critique des Mémoires de Philippe de Commynes. Elle comporte l’ensemble des variantes, quelque douze mille. Réalisée à partir des recherches les plus complètes sur les manuscrits et sur la réception éditoriale extraordinairement riche des Mémoires, elle fournit un instrument de travail entièrement inédit et un progrès considérable par rapport aux anciennes éditions (E. Dupont, 1840 ; B. de Mandrot, 1903 ; J. Calmette, 1924). Elle permet également de renouer avec une tradition scientifique rigoureuse, dans laquelle Commynes et son œuvre retrouvent toute leur place, leur diversité et leurs reflets contrastés. Diplomate, homme de procès, homme d’argent, armateur, confident des grands de son temps, écrivain, Commynes nous révèle la trame multiple de ses activités et réseaux européens. Augmentée d’un index analytique de 160 pages, d’un index des lieux et personnes de 250 pages, de notes abondantes établies à partir de recherches récentes et parfois inédites, l’édition de Joël Blanchard répond aux attentes des chercheurs et leur fournit un outil de travail indispensable. Elle constitue par ailleurs la pièce maîtresse de l’édition en cours à Genève du « corpus » commynien par Joël Blanchard, avec les lettres déjà publiées, et les « Pièces originales » à paraître (deux volumes).
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Le tome V nous entraîne dans la Chine du Sud, récemment conquise par l'empereur mongol. Mêlant divers déplacements effectués au cours de son long séjour au service du Grand Khan, le voyageur vénitien présente l'ex-empire des Song selon un itinéraire qui mène de la ville de Huaian, sise à l'époque sur le Fleuve Jaune, au grand port méridional de Quanzhou, lieu d'embarquement pour le retour des Polo vers l'Europe en 1291. Chemin faisant, le lecteur suit le Grand Canal et fait étape dans les cités célèbres de Yanzhou, puis de Suzhou, la Venise chinoise, avant de parvenir à Hangzhou, la grande métropole méridionale, et d'atteindre enfin les ports animés de Fuzhou et de Quanzhou. Une digression vers l'intérieur des terres permet d'évoquer le long siège de Xiangyang et de présenter rapidement Kaifeng, ancienne ville impériale. Marco Polo porte toujours un regard curieux sur les paysages, les édifices, les produits et les coutumes remarquables. Hangzhou retient particulièrement son attention. L'ancienne capitale des Song, image vivante d'une civilisation raffinée, le séduit par son magnifique urbanisme, sa foisonnante richesse et son fourmillement de vie. Grâce à elle la merveille devient réalité.
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Ecrite à Grenoble vers 1516, représentée en 1527 et publiée en 1530, la Vie de sainct Christofle est un des rares mystères originaux du XVIe siècle. Son auteur, Maistre Chevalet, s’était déjà distingué par sa collaboration au Mystère des Trois Doms. La Vie de sainct Christofle lui permet de donner la mesure de son talent par une construction dramatique élaborée, ainsi que par l’établissement des dialogues savoureux qu’entretiennent de nombreux personnages populaires («tyrans», paysans, fou et folle, messagers, aveugle et valet, bourreaux, mère maquerelle et prostituées, taverniers, etc.) et par l’écriture de scènes pour le moins spectaculaires (bataille, passage de la rivière, martyres remarquables). On y retrouve tout l’univers de la poésie dramatique hagiographique, mais traité avec un art inhabituel du théâtre et du récit. La Vie de sainct Christofle est une pièce essentielle dans l’histoire du genre des mystères, mais aussi pour celle de la langue: le goût de Maître Chevalet pour les proverbes et les expressions pittoresques, dont il procure souvent la première attestation, offre aux lexicologues une matière de choix et aux lecteurs un plaisir qu’ils ne bouderont pas.
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Roman arthurien écrit en vers dans la première décennie du XIIIe siècle, la Vengeance Raguidel appartient à la tradition littéraire de Chrétien de Troyes. Gauvain, le héros principal, assure l’unité de l’œuvre. En même temps qu’elle relate sa vengeance de Raguidel, chevalier tué par l’invulnérable Guengasoain, elle raconte deux autres histoires : les aventures de la fantasque dame de Gaudestroit, éprise d’un amour éperdu pour Gauvain ; celles du héros et d’Ydain, jeune femme infidèle et sensuelle.
L’humour de l’auteur donne au roman sa tonalité particulière. Raoul de Houdenc n’hésite pas à ridiculiser Gauvain en le rendant amoureux d’une jeune fille volage. Les histoires sont contées à un rythme vif et soutenu, en sorte que le lecteur est séduit par la manière toute personnelle qu’a l’auteur de prendre une distance ironique à l’égard de ses personnages. Emule de Chrétien de Troyes, versificateur talentueux, Raoul s’est détaché des stéréotypes arthuriens pour créer une œuvre forte, attachante et originale.
L’édition du texte est précédée d’une introduction qui examine la question délicate de l’attribution du roman, l’esprit de l’œuvre, la tradition manuscrite, la langue de l’auteur et celle de la copie. Elle est complétée par un large choix de variantes, des notes fournies et un glossaire développé.
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Les diables parcourant les mystères hagiographiques séduisent. Ils séduisent leurs proies, ils séduisent leur public, ils séduisent même les praticiens de la scène médiévale. Leur comique indéniable a longtemps fait oublier le rôle essentiel qu’ils jouent dans la fiction dramatique. Indispensables faire-valoir des saints dont ces mystères chantent les louanges, souffre-douleur des anges, images du mal, de l’adversité et de l’altérité, les diables s’avèrent être des moteurs de l’action théâtrale.
Mis en scène dans des pièces qui tiennent autant du rituel que du divertissement, les diables relaient l’idéologie chrétienne sans renoncer au carnavalesque qu’autorise leur rôle. L’étude que leur consacre Elyse Dupras dévoile les processus de violence et d’exclusion exprimés dans ce théâtre, qui tout à la fois représente et interprète le monde. Dans la rhétorique des mystères, leurs masques, leurs faits et gestes comme le discours qu’ils tiennent contribuent notre connaissance du public médiéval. La fascination qu’exercent les diables tient à leur ambivalence, condamnés sont-ils au mal mais voués à prêcher le bien.
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Pourquoi insérer dans une œuvre littéraire des listes, qu'il s'agisse de héros épiques, de plantes et d'animaux recensés dans le monde naturel, de realia de l'industrie humaine ? Que l'on songe à Rabelais comme à des auteurs aussi divers que Hugo, Borges ou Perec, et l'on constatera que le phénomène, réitéré, est loin d'être marginal. Il est ancien également : ainsi la pratique massive du procédé depuis le Moyen Age mérite-elle qu'on en interroge les origines. Il est ample aussi : les listes d'œuvres exhibées par des jongleurs en compétition et par des auteurs vantant leur production, les denrées offertes au marché ou nécessaires au ménage qu'inventorient les dits énumératifs en témoignent. Férus de listes, Machaut, Froissart, Deschamps et Villon en déclinent le répertoire, chacun selon sa poétique propre.
L'observation de la pratique littéraire de la liste du XIIe au début du XVIe siècle montre qu'elle est associée à une représentation oxymorique du poète, à la fois fier d'une maîtrise qu'il étale et conscient de limites qu'il établit. Celles-ci, en effet, le rapprochent dangereusement du ménestrel, mais aussi du marchand et du bonimenteur, puisque, à leur image, il se livre à un arpentage du monde pour faire commerce de mots dans un étalage de savoir encyclopédique et lexical.
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Le livre V du Policraticus, ce miroir des princes composé par Jean de Salisbury, présente l’originalité d’intégrer ce que le Moyen Age considérait comme le miroir des princes de Plutarque, l’Institutio Trajani, qui, indépendamment du problème épineux de la paternité et de l’origine du texte, partage l’esprit des traités politiques et moraux de Plutarque. Traduit par Denis Foulechat en 1372, le Policraticus fait son entrée à la cour de Charles V. Les références à la situation politique, morale et juridique du XIIe siècle dans l’empire Plantagenet, mais aussi aux auteurs antiques et médiévaux faisant autorité en la matière définissent le Livre V du Policraticus comme l’axe même de l’œuvre. Ces aspects ne sont pas pass©s inaperçus chez un contemporain de Foulechat tel que Nicolas Oresme, dans la mesure où l’essentiel des critiques formulées par Jean sur le fonctionnement de la justice continuaient de s’appliquer aux institutions contemporaines de Charles V.
Cesaspects ne sont pas passés inaperçus chez un contemporain de Foulechat tel que Nicolas Oresme, dans la mesure où l'essentiel des critiques formulées par Jean sur le fonctionnement de la justice continuaient de s'appliquer aux institutions contemporaines de Charles V. L'édition critique et commentée du texte en moyen français est accompagnée de celle du manuscrit latin (Soissons, Bibliothèque municipale, ms. 24-26) se rapprochant le plus de celui que devait avoir sous les yeux le traducteur; la traduction du texte latin était d'autant plus souhaitable que jamais encore le Policraticus n'avait fait l'objet d'une telle transposition et que le vocabulaire et la langue juridiques auxquels recourt Jean de Salisbury sont loin d'être univoques pour le lecteur moderne.
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Ce catalogue de l’administration japonaise du début du xie siècle a été établi sur l’essentiel de la documentation disponible, textes législatifs du VIIIe au XIe siècle et notes journalières de hauts dignitaires et fonctionnaires des Xe et XIe siècles, pour donner un tableau des institutions centrales, organes inscrits dans les codes promulgués au début du VIIIe siècle et organes créés postérieurement avec les compétences de chacun telles que décrites dans les codes et telles que mises en application au début du XIe siècle, de façon à faire apparaître l’étiolement de beaucoup d’entre eux et les transformations subies par le régime des codes. Environ mille fonctionnaires, grands et petits, passent dans ces pages avec ce qui peut être reconstitué du déroulement de leurs carrières. Les mieux connus sont ceux de la couche supérieure dont l’accès tend de plus en plus à se fermer, l’hérédité plus que le mérite devenant un facteur essentiel dans les nominations et promotions. Les hauts dignitaires n’ont plus une expérience directe de la province et consacrent une part grandissante de leur temps à l’aspect cérémoniel et rituel de leur fonction. Ils ont renoncé à tout contrôler dans le détail dans le pays comme les codes semblaient leur en faire une obligation. C’est donc par d’autres voies qu’ils conservent leur autorité. Une grande partie des fonctionnaires moyens sont devenus leurs clients. Ils choisissent parmi eux les gouverneurs de provinces qui large autonomie et responsabilité sont consenties. En ce début du xie siècle, apogée des régents Fujiwara, les institutions des codes sont toujours vivantes, l’action des gouverneurs de provinces fait toujours l’objet d’une évaluation, ais les facteurs de dégénérescence sont présents, les dérives du système fiscal, l’hérédité qui empêche toute mobilité sociale et à chaque génération rejette des hommes. Ils n’ont d’autre choix que d’aller chercher fortune dans les provinces. Les conséquences devaient apparaître au siècle suivant avec le développement du monde des guerriers.